EL4

Les Monts d’Arrée, Brennilis ; c’est au sein de ce paysage presque désertique, sauvage, que fut construit en 1962 un réacteur expérimental. Ce quatrième réacteur fonctionnant à l’uranium naturel modéré par de l’eau lourde et refroidi au gaz carbonique, était l’expérimentation finale faite par le CEA avant d’industrialiser cette filière (HWGCR). Mais ce réacteur ne fonctionna jamais correctement, il était hors norme, produisant des quantités considérables de tritium, un gaz radioactif difficilement détectable qui était constamment rejeté par cette installation. Des choix politiques aboutirent à l’abandon de cette filière en 1971 et à la fermeture de cette installation en 1985.

Près du réservoir artificiel St-Michel au cœur de ces Monts, ne reste plus que ce monolithe de béton, dôme réacteur, rapiécé de toute part, ce béton poreux qui laissait passer le tritium. Les ingénieurs du site, à l’époque, avaient trouvé le moyen de détecter ces petites fuites. Mettant sous pression l’enceinte du réacteur en y diffusant un parfum de rose, les hommes à l’extérieur pouvaient sentir ce doux parfum qui émanait alors de ces micro-fissures. Pour remédier à ces fuites gazeuses, les hommes de la centrale venaient apposer toutes sortes de rustines expérimentales sur le dôme poreux. Mais ce réacteur continua à gazer son tritium dans le paysage des Monts jusqu’à sa fermeture. Maintenant il ne reste plus que la carcasse de béton renfermant toujours le réacteur extrêmement radioactif, vestige de cette centrale en cours de démantèlement.

Le protocole du démantèlement [1]

C’est en 1985 que commença le démantèlement de cette centrale, c’est à dire la déconstruction du site. Ce premier démantèlement voulait être une vitrine exemplaire pour EDF, afin de montrer qu’un futur post-nucléaire propre était possible. Cela s’effectua par étapes.

  1. 1985 : la mise à l’arrêt définitive des installations, la décharge du combustible nucléaire et la vidange des circuits.
  2. 1997 : la décontamination et le démontage des bâtiments hors réacteur, l’évacuation des déchets nucléaires et le confinement du réacteur. Ainsi les déchets ayant une période courte ou moyenne furent envoyés au centre de stockage de l’Aube, qui est le plus grand centre de stockage de déchets radioactifs au monde.
  3. 2005 : cette étape aurait consisté au démantèlement des échangeurs thermiques, du bloc réacteur et la démolition du bâtiment réacteur. Mais elle fut annulée.
    2011 : durant les cinq prochaines années seront enlevés les échangeurs thermiques ; les structures de la station des effluents ; le hangar à déchets et l’assainissement des terres sous-jacentes aux structures de la station de traitement des effluents (hors bloc réacteur). Le cœur ne pouvant être encore retiré à cause de sa radioactivité.

L’illusion du démantèlement

Ce démantèlement est un échec, plus précisément une non solution pour faire oublier les activités nucléaires d’une installation. Une telle installation contamina obligatoirement l’environnement, le souhait d’un retour à l’herbe n’est qu’une illusion dangereuse.
Les bâtiments peuvent disparaître, laissant place de nouveau à la nature, enrichie de césium 137, cobalt 60, plutonium 239 et d’actinium 227 ; espaces pollués [2].
Les travailleurs du nucléaire qui viennent déconstruire les bâtiments sont exposés à ces espaces devenus à leur tour des déchets. À présent il faut les décontaminer, concasser, empaqueter avant de les faire disparaître dans une décharge nucléaire. Nous observons à présent ce bâtiment réacteur qui contient toujours le cœur beaucoup trop radioactif pour être démantelé avant de nombreuses années.

Un autre choix serait de laisser en l’état ces sites, après leur mise à l’arrêt et leur décontamination, un véritable témoignage de leur activité passée et de leur dangerosité.
Ces cathédrales post-nucléaires seront notre legs, le témoignage de nos illusions.

Atomique playground

Il en résulterait une zone atomique inaccessible et interdite, où le temps devra faire son œuvre. Érodant, détruisant les installations dans les même échelles historiques que celle induite par la désintégration radiologique des éléments qu’elle contient.
Ces futurs no man’s lands font déjà partie de nos vies, nous les traverserons dans leurs actuelles formes au cours de notre future dérive.

  1. Phase du démantèlement sur Wikipédia. 
  2. Contamination de la centrale EL4 sur le site de la CRIIRAD. 

Article rédigé par dans Réflexions.
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