Suite à mes précédentes recherches sur les radioisotopes, je me suis plus particulièrement intéressé à l’uranium et je vais essayer de rendre compte du son cycle de vie, de son extraction à son recyclage au sein de l’industrie électronucléaire française. L’uranium est bel et bien le carburant de nos centrales, qui produisent près de 75% de notre électricité actuellement. Pour ce faire j’ai visionné les excellents documentaires « URANIUM l’héritage empoisonné » de Dominique Hennequin, « Déchets le cauchemars du nucléaire » d’Éric Guéret et « Ultimatom » de Laurent Tabet.
L’extraction
L’uranium n’est pas un minerai à proprement parlé. Il se trouve disséminé dans la roche sous forme de dioxyde d’uranium[1], une forme cristalline qu’il faut extraire en fonction de sa concentration, qui peut varier de 0,012% à 20% par tonne de roche[2]. S’en suit un processus chimique de concentration qui abouti à l’obtention d’une pâte jaune constituée à 75% d’uranium naturel (à travers son isotope 238U), que l’on appelle le yellowcake[3].
La France exploita l’uranium sur son territoire métropolitain de 1949 à 2001, principalement dans le Limousin, mais il y a eu au total 186 sites d’extraction et de transformation de l’uranium[4]. Or cette industrie engendre une quantité considérable de déchets, en résulte des stériles miniers et autres boues radioactives qui ont pu être rejetés directement dans la nature. Il s’avère aussi que des barils remplis de déchets ont pu être directement disséminés dans la nature. En France c’est vraiment le Limousin qui concentre le problème, entre les différentes mines comme celle de Jouac, ou encore l’ancienne usine d’extraction physico-chimique de l’uranium implantée à Bessines. Les sols ont été imprégnés par ces matières radiologiques qui ont migrées jusqu’à la nappe phréatique par endroit. C’est ainsi que l’eau consommée par les habitants[5] a pu être contaminée.
Actuellement l’uranium français est principalement extrait au Nord-Niger dans la mine souterraine d’Arlit, celle à ciel ouvert d’Azelik ainsi que la prochaine mine géante à ciel ouvert d’Immouraren. En plus des pollutions radiologiques inhérentes au fonctionnement de ces sites, ces terres ont été confisquées aux populations autochtones afin d’exploiter ces gisements.
Lors de l’extraction, des boues et des stériles miniers sont rejetés. En plus des différents produits chimiques utilisés lors des processus de concentration du minerai, on peut retrouver thorium 230, radium 226, plomb 210 et polonium 210. Une mine d’uranium rejette aussi naturellement le radon 222, un gaz radioactif issu de la désintégration du radium. Les mineurs sont constamment exposés à ces matières dangereuses.
L’enrichissement
Une fois que l’on a obtenu le yellowcake constitué d’octaoxyde de triuranium[6] (U3O8), il faut le convertir en hexafluorure d’uranium[7] (UF6) avant de l’enrichir en uranium 235, par la diffusion gazeuse ou l’ultra-centrifugation[8], afin de le rendre utilisable comme combustible.
Historiquement, l’enrichissement en France s’effectua sur le site militaire de Pierrelatte[9] de 1958 à 1996, puis dans l’usine Eurodif / Georges-Besse[10]qui fonctionna de 1978 à 2012. La nouvelle usine Georges-Besse II[11] est actuellement en construction. Toutes ces installations se trouvent sur le site du Tricastin[12] dans la Drôme.
L’utilisation
Une fois l’hexafluorure d’uranium enrichi, il est converti en poudre d’oxyde d’uranium (UOX) comprimée sous forme de pastilles. Elles sont ensuite empilées dans un tube appelé crayon. Ces crayons de combustible sont rassemblés par 250 unités afin d’obtenir ce que l’on appelle un assemblage combustible[13].
Dans un réacteur à eau pressurisée (REP)[14], les assemblages combustiles sont placés au cœur du réacteur. Ils sont irradiés pour produire de la chaleur, qui viendra réchauffer l’eau sous pression contenue dans le circuit primaire (qui passe directement dans le cœur du réacteur, en circuit fermé). Via un échangeur de vapeur, le circuit primaire est connecté au circuit secondaire où est convertie de l’eau en vapeur. C’est cette vapeur qui actionne les turbines pour produire de l’électricité. Enfin, un troisième circuit dit de refroidissement est chargé de refroidir la vapeur pour que le cycle recommence. Pour simplifier, c’est une sorte de cocotte minute géante fonctionnant avec des matières fissiles.
Lors du bombardement neutronique au cœur du réacteur, l’UOX (composé à la base d’ 238U, 235U, 234U) change de composition. Les éléments suivant apparaissent :
Une fois l’assemblage épuisé, il est retiré du cœur du réacteur pour être placé dans une piscine de désactivation[18], afin de refroidir durant un certain nombre d’années, avant de pourvoir être retraité lors du dit « recyclage ». Ce type de stockage en piscine est très utilisé à travers le monde. En France, environ deux tiers du combustible est envoyé en retraitement.
Le retraitement[19]
Voici le point le plus important et controversé du « cycle du combustible nucléaire »[20]. Une fois que les assemblages sont épuisés, ils sont devenus des déchets radioactifs qu’il faut arriver à traiter. Historiquement, les déchets radioactifs étaient conditionnés en fût et directement jetés dans les fosses marines. Ainsi ce ne sont pas moins de 100 000 tonnes de déchets[21] qui ont été jetés par les pays nucléarisés (chiffres AIEA).
Suite à la lutte des associations environnementales et écologistes, un traité de l’ONU interdit en 1993 l’immersion de déchets nucléaires à partir de bateaux.
Pourtant, au début de cette industrie, les matières radioactives usagées n’étaient pas à proprement parler recyclées. Les usines de retraitement de combustible avaient pour seul but d’extraire le 1% de plutonium à des fins militaires (car c’est l’élément qui permet de créer la bombe tant convoitée durant la guerre froide). C’est dans cette optique qu’en 1958 fut construite l’usine militaire d’extraction du plutonium de Marcoule (UP1)[22] qui est actuellement en cours de démantèlement. Pour pallier à une éventuelle défaillance de cette première usine, une usine jumelle fut construite. C’est ainsi qu’en 1968 l’usine de la Hague[23] rentra en service, toujours dans un cadre militaire. C’est à partir des années 70 que cette usine fut reconvertie dans un cadre civil. Cela permit de trouver un débouché économique à ce site qui traite les assemblages usagés issus de nos centrales mais aussi des centrales d’autres pays. À la Hague, l’usine peut traiter jusqu’à 1 600 tonnes de combustibles par an. Elle extrait toujours ce fameux 1% de plutonium, les 99% restant sont considérés comme des déchets.
Le processus de retraitement commence par le cisaillage des barres de combustible afin de les dissoudre dans de l’acide nitrique. Lors de ce processus des gaz sont relâchés comme le krypton 85[24], un gaz radioactif (période de 10,7 a) qui ne peut pas être piégé par les installations. Il est tout simplement rejeté directement dans l’atmosphère, où il ne cesse de s’accumuler depuis les cinquante dernières années. Aujourd’hui afin d’évacuer certains radioélements, cette usine a adopté une stratégie légale : une conduite part de la centrale et rejette directement ces déchets radioactifs (400 m3 / jour) à 4 km en pleine mer. Dans ces deux cas, une méthode dite de dilution est appliquée : cela signifie que c’est au final la nature qui devra absorber et dispatcher ces éléments chimiques, en fonction de la direction des vents et des courants marins qui sont très importants au cap de la Hague.
Ne nous y trompons pas, cette installation est certainement la plus polluante d’Europe, voire de la planète. Et elle ne contamine pas seulement son proche environnement, on peut aussi retrouver certains des isotopes rejetés jusqu’en Antarctique. Cette usine contamine constamment l’environnement, tel un accident perpétuel.
Que faire de ces déchets ?
Lors de ce retraitement, à partir de 1 000 kg de combustible initial, on obtient[25] :
- 955 kg d’uranium (941 kg d’238U ; 10 kg d’235U ; 4 kg 236U) ;
- 34 kg de produit de fission ;
- 10 kg de plutonium ;
- 0,8 kg d’actinides mineurs.
Afin de rendre l’entreposage et la manutention de ces déchets ultimes HAVL (composés principalement des produits de fission et des actinides mineurs), ces résidus sont vitrifiés[26], c’est à dire mélangés avec du verre en fusion. Cette matière est directement coulée dans des conteneurs en acier inoxydable réfractaires pouvant contenir 400 kg et il n’y a au final que 11 kg de matière dangereuse piégée par colis. Ces colis sont ensuite stockés dans des puits ventilés directement à la Hague avant de trouver une solution plus durable qui devrait être leur entreposage dans une bulle d’argile souterraine[27].
Mais que deviennent les 95% d’uranium appauvri ?
Il s’avère que cet uranium de retraitement est envoyé en Russie, dans le complexe militaire Tomsk-7, la ville fermée de Seversk[28] en Sibérie. Au final il y est simplement entreposé et seulement 1 à 10% de ce déchet et ré-enrichit par les russes pour redevenir du combustible nucléaire.
Quant au plutonium issu du retraitement, il peut être mélangé à de l’uranium naturel pour former le MOX[29] un combustible nucléaire développé par l’industrie française.
Au final, seulement environ 11% du combustible est réutilisé (soit le 1% de plutonium et au maximum 10% d’uranium). Le bilan ce de cycle est sans équivoque, l’énergie nucléaire produit environ 89% de déchets. C’est aussi pour cela que l’on a tant besoin d’uranium naturel, car on ne le recycle pas.
En résumé
Notre uranium vient principalement d’Afrique, est préparé, utilisé puis retraité en France et enfin il est mis en décharge en Russie. Durant tout ce cycle, il pollue constamment quelque soit l’installation et il n’y a pas de solutions convenables pour ces déchets, cela depuis le début de cette industrie. Or les déchets HAVL ont une période de 200 000 ans, cela nous engage donc sur cette période temporelle hors échelle historique, hors échelle humaine.
Pour plus de détails vous pouvez regarder :
- « Uranium l’héritage empoisonné » de Dominique Hennequin ; Nomades TV / Public Sénat ; 54 min ; 2009.
- « Déchets le cauchemars du nucléaire » d’Éric Guéret ; Bonne Pioche / Arte France ; 98 min ; 2009.
- « Ultimatom » de Laurent Tabet ; 50 min ; 1999.
Remerciements à Roland Desbordes pour sa relecture.
- Dioxyde d'Uranium sur Wikipédia.
- Concentration de l'Uranium par tonne de roche sur le site d'Areva.
- Yellowcake sur Wikipédia.
- Impact radiologique de l'extraction de l'Uranium sur le site de la CRIIRAD.
- De l'eau du robinet radioactive dans une commune de Haute-Vienne sur dissident-media.org.
- Octaoxyde de triuranium sur Wikipédia.
- Conversion en hexafluorure d'uranium sur le site d'Areva.
- Enrichissement de l'uranium sur Wikipédia.
- Usine militaire de Pierrelatte sur Wikipédia.
- Usine Georges-Besse / Eurodif sur Wikipédia.
- Usine Georges-Besse II sur Wikipédia.
- Site nucléaire du Tricastin sur Wikipédia.
- Fabrication du combustible nucléaire sur Wikipédia.
- Réacteur à eau pressurisée (REP) sur Wikipédia.
- Les isotopes de l'Uranium sur La radioactivite.com.
- Les actinides mineurs sur La radioactivite.com.
- Les produits de fission sur La radioactivite.com.
- Piscine de stockage du combustible sur Wikipédia.
- Le retraitement sur La radioactivite.com.
- Cycle du combustible nucléaire sur Wikipédia.
- Les déchets immergés sur le site de l'ANDRA..
- Usine d'extraction du plutonium de Marcoule sur Wikipédia.
- Usine de retraitement de la Hague sur Wikipédia.
- Krypton 85 sur le site de l'IRSN.
- Combustible nucléaire usé sur Wikipédia.
- Vitrification (HA) sur La radioactivite.com.
- Les recherches de l’Andra sur le stockage géologique des déchets radioactifs à haute activité et à vie longue sur le site de l'ANDRA.
- Seversk sur Wikipédia.
- Combustible MOX sur Wikipédia.
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